L'image interdite - Une histoire des iconoclasmes

Résumé par Marie-Nicole Le Noël de sa conférence du 28 février 2011

Toutes les religions, toutes les mythologies, à toutes les époques du monde ont été confrontées à un moment de leur histoire à l’enjeu et au statut de l’image de la divinité. Car comment représenter l’invisible, comment manifester le transcendant ? Porteuse d’un message religieux en relation avec les espérances et les angoisses les plus profondément humaines puisqu’elle touche à la survie de l’âme, mais souvent aussi message politique, l’image du ou des dieux a connu dans de nombreuses civilisations des développements et des déviances qui ont amené  des réactions violentes et la destruction systématique de leurs propres productions artistiques ou de celles des autres.  Par ailleurs, même sans violence  quand il n’est que philosophique ou intellectuel, l’iconoclasme (de eikôn, l’image et klasma, casser), n’est jamais anodin. Pas plus qu’il n’appartient au passé, l’actualité récente l’a démontré.

Remonter l’histoire iconique de la divinité est un passionnant voyage dans le temps et dans l’espace. De l’homo erectus des grottes de Lascaux  devenu l’homo pictor qui traçait sur les parois de ses sanctuaires souterrains des images chargées de magie afin d’assurer la survie de sa race, et  jusqu’au Carré Blanc sur fond Blanc par lequel s’exprima la spiritualité de Malevitch, l’histoire des formes atteste de la prodigieuse inventivité de l’homme quant à la représentation de ses croyances et de ses préoccupations les plus existentielles.

Lorsque, 600 ans avant notre ère les Ségobriges ou  « Peuple des Hauteurs »  qui vivaient sur les collines dominant le Lacydon laissèrent les Phocéens s’installer pacifiquement sur la rive nord de la calanque, ils n’avaient évalué que le risque militaire que ces nouveaux venus représentaient. Or, ces Grecs amenaient avec eux les séduisantes statues de leurs divinités et de la vaisselle peinte dont les figurations mettaient en scène tout un panthéon anthropomorphe et suggestif, introduisant un mortel danger pour cette civilisation celtique résolument aniconique et iconophobe régie par des druides qui communiquaient avec l’au-delà sans autre intermédiaire que ceux des mots et du  brouillard. La séduction de l’image allait saper l’autorité d’une classe sacerdotale qui régnait alors sur toute l’Europe, causant sa perte.

Conscient du danger d’idolâtrie que représentaient statues et images, le judaïsme observa strictement le deuxième commandement des Tables de la Loi que Yahvé avait donné aux hommes par l’entremise de Moïse, interdisant toute image de ce qui est dans les cieux ou sous la terre et que reprit plus tard l’Islam, non moins strictement. Le christianisme à ses débuts fut lui aussi plutôt aniconique, véhiculant sa foi au travers de signes et de symboles païens revisités pour les besoins de sa prédication. Puis l’Eglise s’affirmant à partir de l’édit de Milan de Constantin qui donnait en 313 la liberté de culte à ce qui avait été jusque là une secte dissidente du judaïsme, l’image justifiée par l’incarnation du Dieu fait homme s’imposa comme support d’enseignement et de diffusion d’une religion en pleine expansion.

Les premiers siècles chrétiens connurent un foisonnement de doctrines théologiques souvent absconses qui imposèrent la convocation de nombreux conciles afin de statuer définitivement sur le dogme et faire respecter l’orthodoxie, littéralement « la doctrine droite », la seule admissible. Un des principaux débats portait précisément sur la nature humaine et divine du Christ et la hiérarchie de la Trinité, ce qui valut à l’histoire de l’art une féconde iconographie dont les visuels de la conférence ont montré toute l’inventivité. Mais c’est essentiellement pour des raisons politiques qu’en 730 le basileus Léon III imposa la destruction des icônes, initiant une crise qui allait déchirer l’empire d’Orient jusqu’en 843.

Devant les dérives de l’image mais aussi du culte des saints et des reliques, l’Eglise Réformée en la personne du genevois Calvin, son plus virulent prédicateur dénonça la superstition et l’idolâtrie de ces pratiques initiant un iconoclasme qui allait s’avérer au final plus destructeur pour l’art religieux que celui auquel se livreront les Sans-culottes, deux siècles plus tard.

Tirant la leçon des méditations sur l’esthétique auxquelles se livrèrent Kant, Hegel ou Schopenhauer à la suite des philosophes des Lumières, le XXe siècle artistique se livrera à son tour à une autre forme d’iconoclasme, soit la destruction totale de l’image, ouvrant d’infinis horizons à l’art abstrait.

Cette conférence pour des raisons de temps imparti n’a pu traiter que l’image du principe masculin en religion. L’histoire iconographique de la Vierge, d’Eve ou de Marie-Madeleine, tout aussi riche et spectaculaire mérite des développements spécifiques.